Le grand Nord
Me voilà dans le grand Nord : où le soleil se couche tellement peu que cet idiot de cerveau me réveille à quatre heures du matin parce qu'il fait déjà jour (comme le flic incarné par Al Pacino dans Insomnia, dont les cernes s'accusent d'un plan au suivant alors que lui-même ne sait fichtre pas qui accuser)
Je me suis baladée jeudi à Bergen : une ville qui n'en est une que dans le sens où les ploucs de province (dans les romans de Simenon par exemple) disent aller au marché "à la ville" (par opposition à leur village). Plutôt un gros bourg, donc, propre et gentillet, décoré de maisons colorées en bois abritant des boutiques à gogo(s) qui m'a furieusement donné l'impression de déambuler dans un parc d'attraction. Heureusement que le passage d'une vieille cloche égrénant des miettes de pain à l'intention d'hypothétiques pigeons tout en bavant sur ses chaussettes (elle portait des sandales) est venu mettre une note de crassouille réaliste dans ce décor trop enchanteur pour être vivable.
A part ça : j'ai une crève carabinée. La faute à la clim de l'avion, on va dire (charitablement) (Je vous laisse deviner quel temps il fait ici...) J'ai cru mourir... quand j'ai vu le prix de la bouteille de rhum (comment se soigner sinon aux grogs ?) au magasin étatico-monopolistique de la picrate (fermé du samedi midi au lundi matin : pire que dans le Mississippi)
Le climax, l'apex... le summum du trajet jusqu'à mon lieu de villégiature estival n'a pas été la cascade bidule (un mince filet d'eau, à peine un vulgaire clapotis comparé à... allez ! je n'insiste pas)
ni l'église en bois qui ressemble à une armure de samouraï
ni même la kistchissime statue du Kaiser (ce cher Guillaume II, l'un des trois noeuds-noeuds consanguins dont les démêlés familiaux m'avaient permis de gagner ma croûte il y a quelques années de ça
http://www.editions-jclattes.fr/livre-le-roi-l-empereur-et-le-tsar-catrine-clay-20470)
ni même la révélation que Wittgenstein (Ludwig) a vécu dans une cahute à deux pas du fjord machin mais...
la seconde représentation de la Berma dans La Recherche !!!
A ce propos : je tiens à confesser, par solidarité avec ma lectrice (ne devrais-je pas ici user d'un pluriel plein d'espoir ?) que moi aussi j'ai eu l'air bête dans les transports : je me suis donné du ridicule à peu de frais en éclatant de rire à la lecture de :
(...) la lumière se veloutait, se dégradait, amincissait les portes de communication ou les degrés des escaliers intérieurs qu'elle convertissait en cette ambre dorée, inconsistante et mystérieuse comme un crépuscule, où Rembrandt découpe tantôt l'appui d'une fenêtre ou la manivelle d'un puits. Et à chaque étage, une lueur d'or reflétée sur le tapis annonçait le coucher du soleil et la fenêtre des cabinets.